L’œuf ou la poule ? Ses
textes ont-ils engendré la musique ou l’inverse ?
Il ne nous le dit pas.
Mais on déguste au cours de cette
soirée la substantifique moelle de ses grands
classiques.
En premier lieu, « le
Youki » (« C ki, ah ? C
ki ? »), le tube qui a fait marrer la France
entière pendant des années. Désolidarisé de sa
rythmique, le jappement devient un énorme coup de
poing dans la gueule de la bourgeoisie.
Quant aux «
Quatre Saisons » le Magnum
Opus de l’amuseur – qui, on le découvre,
n’est pas seulement drôle – on est enfin plongés
dans des textes épurés, dont la beauté relève d’une
mise à jour de Victor Hugo. « C’est le
printemps, les affaires ont repris ».
Malheureusement, ces lyrics avaient été
écrasés dans l’album par une musique si belle (de
Claude Engel) qu’ils étaient presque passés au second
plan. Un peu comme un grand bourgogne blanc écraserait
une truite au bleu de Paul Bocuse. D’autant que la
couverture, certes géniale, laissait accroire qu’il ne
fallait surtout pas prendre l’œuvre au sérieux.
Une couverture d'album qui orientait mal l'auditeur
Or, ici, au Lucernaire, on est
interdit voire bouche-bée, devant une prose qui sera
enseignée dès lors que les morts ne seront plus seuls
à avoir droit de cité dans les écoles.
L’épuration de cette soirée n’est
néanmoins pas totale puisque le guitariste Brice
Delage (guitare électrique) vient ponctuer, sans
vergogne mais avec talent, la déclamation.
Et, comme toujours, la production
de Richard Gotainer, malgré son intitulé (vérifiez
votre dictionnaire hébreu) est hautement
professionnelle.
JP Jumez
*******
Gotainer : 12 pieds
sur terre
Deux auteurs, un compositeur, un
metteur en scène, un arrangeur et un interprète
nous délivrent un spectacle à couper le souffle* :
sur le thème des pollueurs de la terre, « La
Goutte au Pépère » est une véritable comédie
musicale - en alexandrins - mettant en scène neuf
personnages, tous chantés, mimés, dansés par… un
seul homme (enfin, à ce stade, peut-on encore le
qualifier d'homme, ce Richard Godainer ?).
- Richard Gotainer, la goutte en question,
elle est alcoolisée ?
- Ben… c’est la gnôle, quoi ! Le passage
obligé, généralement imbuvable …
- Mais en en faisant l’apologie, vous
risquez la censure, de nos jours ?
- Pourquoi ?
- Mais vous le savez bien, les
boissons nobles sont attaquées de toutes parts ; on
assiste à une véritable frénésie anti-alcoolique ; au
secours, l’eau revient !
- Ecoutez, moi, je ne lis pas la presse.
Mais ce que je puis vous dire, c'est qu'en matière d'art
de vivre, dans mon entourage, RAS ! Sinon, d'ailleurs,
je doute que mon spectacle ait vu le jour.
- … ?
- Eh oui ! Tout est parti de plusieurs
déjeuners arrosés en compagnie d’Eric Kristy. Au plus
fort de l'ivreté, quelques rimes improvisées sur une
nappe de papier inondée de nos larmes - je vous rassure,
notre vallée de larmes était irriguée par le rire …
-… rien n’est absolu, sauf l’humour,
disait Einstein...
- …un thème vaguement écologiste
(attention, je n’ai pas dit alcoologiste), une vague
considération commerciale (aucune comédie musicale sur
les scènes françaises à l’époque), une vague d’optimisme
(les producteurs vont se précipiter, bien sûr) et
c’était parti : nos alexandrins allaient submerger monde
!

Richar Gotainer à l'Olympia
le 6 novembre 2006
- Il restait tout de même quelques
cases à remplir !
- Oui, mais vous savez ce que c’est, quand
la bonne humeur s’inscrit dans le temps ! Un
compositeur, un metteur en scène, un producteur, un
orchestre, neuf comédiens-chanteurs-danseurs (d’ailleurs
rares en France), un théâtre… tout cela, ce sont des
détails à côté des fous rires gargantuesques qui
dévastaient notre bon sens !
- Fous rires suffisamment ravageurs pour vous
permettre de gagner votre pari !
- Minute, papillon ! Il aura fallu six
années pour affûter nos larmes et les faire aboutir.
- Une galère, quoi.
- On ne peut pas dire cela. Nous avons été
persévérants, mais pas acharnés. Résumons : outre un
écheveau de problèmes, notre idée initiale impliquait
que des gens s’impliquassent.
- Evidemment : 1) Le compositeur
- Là, mes antennes étaient déployées et
c’est en emmenant mon fils à un spectacle que j’ai
rencontré Etienne Perruchon.
- Donc vous lui avez remis le texte et
il vous a pondu une partition ?
- Pas du tout ! Moi, je ne joue pas
d’instrument, mais je sais jouer du musicien. Les
séances de création se font… de concert. Le compositeur
propose des thèmes. Lorsque je fais la moue il met un
bémol; lorsque je me déride, c'est le dièse victorieux.
- 2) Les musiciens
- Nous les avons trouvés à Sofia, en
Bulgarie, à la radio nationale : le Sofia Symphony
Orchestra. Il faut dire que grâce à ma vieille
complicité avec Celmar Engel, mon gourou du son, je
n'étais pas inquiet. Nous aurions forcément le top.
- 3) Les comédiens-chanteurs-danseurs
- A ce stade, nous avons trouvé des
volontaires pour faire les premiers bouts d’essai.
- 4) Le producteur
- Dès le départ, nous avons fait circuler
le projet chez les professionnels. C’est ainsi que
Patrice Lecomte, Claude Lelouch et d’autres ont joué
notre idée gagnante, mais sans pouvoir s’engager. Il
faut en effet savoir - contrairement à ce qu’on croit –
que les grands producteurs ne se contentent pas de gérer
administrativement un projet, mais s'y fondent
totalement, tout comme les autres artistes. Et ceux-là
étaient déjà pris pour des années. Mais force est de
reconnaître qu’au fur et à mesure des présentations, une
onde de découragement nous a recouverts. Vous savez, le
fameux « J’y arriverai jamais ». Si je résume : un
projet qui demande énormément de moyens ne trouve pas
preneur, alors que, même avec des moyens, le projet en
question restait aventureux ; et puis, simultanément,
comme par hasard, des comédies musicales émergent par-ci
par-là. De quoi sabrer le moral plutôt que le champagne.
Mais pas pour nous. Le défi était simplement plus grand,
donc plus attrayant. " Eh ben vous allez voir ce que
vous allez voir ! Puisque c’est comme ça, j’vais le
faire tout seul, le spectacle ", décidé-je après une
bouteille de bordeaux !
- Mais c’était vous fouetter avec un
chat à neuf rôles !
- Exactement ! Et puisque ce n'était pas
faisable, j'allais le faire ! Mais il me fallait un
comparse…
- 5) …le metteur en scène ?
- Exactement. C’est au cours d’un
showcase** que j’ai exposé l’idée à Jean-Christophe
Barc, qui cherchait alors à m’engager en tant que
comédien. Il a plongé sur-le-champ. Mais il fallait
adapter les textes, la musique, créer un espace virtuel
pour les neuf personnages, me transformer en
mime-chanteur-danseur, calculer chaque ressource du
tréfonds de chaque souffle, introduire un contrepoint
(deux chanteuses tenant le rôle du choeur antique)…
Jean-Christophe nous a simplement bouclés en Bretagne
pour une présentation publique qui devrait avoir lieu…
deux mois plus tard, avec un mot d’ordre simple : échec
interdit pour mission impossible.

- Mais c’est un exploit physique
incroyable, pour vous !
- Oh, l'aspect physique disparaît
complètement derrière la performance mentale. Il peut
arriver qu’en trois secondes, j'enchaîne trois masques.
Et la musique n’attend pas ! Ce n'est pas le moment de
mélanger dactyles et spondées, de décaler les
hémistiches ou de planter les moues ! La moindre
anicroche peut être fatale. Les enchaînements sont
souvent diaboliques et pourtant, l’élocution doit rester
parfaite. Les mimiques ne peuvent en aucun cas être
équivoques (le spectateur ne doit pas se tromper de
personnage !). Le spectacle doit être aussi limpide
qu’avec une distribution complète. Bref, le message doit
être clair-clair (le clair-obscur étant réservé aux
lumières).
- Une petite gougoutte pour
s’encourager, alors ?
- Justement pas ! Alors que j’ai toujours
pris un remontant (en général du bordeaux) avant de
monter en scène, ici, je suis un régime de cosmonaute.
Rien, ni solide, ni liquide, qui puisse affecter une
diète totalement dédiée à l’accumulation d’un maximum
d’énergie et de concentration à l’instant T (ndlr :
21h 15). Mon seul relâchement possible est le
jour de relâche. Des militants de votre parti ont
d'ailleurs réussi à m'entraîner une ou deux fois, et je
l'ai payé cher sur scène.
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Être sobre
sur scène ?
Le cas
Gotainer est intéressant : on connaît les
artistes qui ont besoin de "s'encourager"
et ceux qui au contraire planent en vols
secs. Samson François, Claude Brasseur et
autres chanteurs ou jazzmen - nous
pourrions citer des contemporains ! -
cherchaient (et trouvaient) l'inspiration
ailleurs que dans un verre d'eau, alors
que nombre de bêtes de scène la jouent
prudente. Sans ouvrir ce vaste débat, il
semble bien que les monstres ayant
totalement dépassé les contraintes
techniques cherchent dans la "goutte"
l'étincelle qui leur permettra d'enflammer
le public, alors que les artistes
conscients de la difficulté de leur tâche
évitent tout risque. En passant d'une
approche à l'autre, Richard Gotainer
semble indiquer que dans ses spectacles
"classiques", il se sente suffisamment
libre pour varier les plaisirs d'une
soirée sur l'autre, alors que dans
l'horlogerie imposée par "La Goutte au
Pépère", il se sente plus en
représentation qu'en présentation : il
exécute une mécanique dont l'inspiration
est antérieure. Il passerait ainsi de
l'état d'interprète à celui d'exécutant.
Jean-Pierre Jumez
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- Donc une parenthèse sobre dans votre
vie. Un adieu aux larmes qui n'est visiblement qu'un
au revoir. D'ailleurs, vous en faites l’éloge, de
cette goutte !
- Que voulez-vous, cette « goutte
», elle abat les cloisons de l'hypocrisie, elle est un
révélateur, entraînant le meilleur ou le pire, l'amour
ou la haine. Elle est en somme... le pentathol du
pauvre.
Propos recueillis par JP
Jumez
* Le Temple,
18, rue du Faubourg du Temple, Paris (métro
République), tous les soirs sauf dimanche et lundi
jusqu'au 12 février. Location: 01 43 38 23 26
** présentation
informelle d'un spectacle
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Le musicien consciencieux
doit se servir de champagne pour
composer un opéra-comique... La
musique religieuse demande un vin du
Rhin ou du jurançon...mais la musique
héroïque ne peut pas se passer de vin
de Bourgogne...
(Beaudelaire
citant Hoffmann)
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